Frasne

 


QUAND UN ANCIEN HABITANT DE FRASNE
A EU AFFAIRE À UNE LOUVE

 

Au mois de juin 2011, le loup a fait sa réapparition dans le Haut-Doubs et plus particulièrement dans le secteur de Chapelle d'Huin. Que ce soit dans la mythologie, dans le folklore, dans la littérature (contes, fables, etc.) ou encore dans les arts, le loup a toujours marqué l'esprit de l'homme.

le loup commun
Planche extraite du volume 5 des "Oeuvres complètes de Buffon avec les supplémens,
augmentées de la classification de G. Cuvier"
publié à Paris en 1835.
L'édition originale a été publiée au 18e siècle sous le titre
"Histoire naturelle, générale et particulière : Quadrupèdes"


LE LOUP EN FRANCE

Dans un "Rapport fait au nom de la commission d'enquête sur les conditions de la présence du loup en France et l'exercice du pastoralisme dans les zones de montagne" et enregistré à l'Assemblée nationale en 2003, ont été mentionnés quelques renseignements sur la disparition du loup en France :

"Jusque là très présent en France, comme dans le reste du monde, le loup a disparu de notre territoire peu avant la seconde guerre mondiale, hormis quelques rares et ponctuelles réapparitions. Cette disparition s'explique par la progressive humanisation du territoire, via l'élevage, la déforestation... Elle s'explique surtout par la politique délibérée d'éradication vis-à-vis d'un prédateur considéré comme ennemi de l'homme, tant en termes d'occupation du territoire que de prédation sur les troupeaux.
(...)
Un coup fatal sera porté entre 1872 et 1890, avec l'usage du poison : le nombre de loups tués arrivera à quintupler par rapport aux périodes précédentes. L'ultime atteinte sera portée peu après 1914, la guerre ayant laissé quelque répit aux loups, et les effectifs déjà réduits à 150 ou 200 vont être ramenés au seuil d'extinction ; seuls subsisteront quelques individus aux moeurs discrètes, pratiquement invisibles.
Au début du XIXème siècle, il pouvait y avoir 5 000 loups en France ; en 1850, ce chiffre avait clairement diminué de moitié avec des fluctuations diverses. La population était réduite à moins de 1 000 vers 1890 pour tomber à 500 en 1900 et s'amenuiser en ne laissant survivre en 1930 qu'une ou deux dizaines d'individus."


En 1826, 58 loups furent tués dans le département du Doubs. L'Annuaire du Doubs de l'année 1827 donne le détail suivant :

  • Louves pleines, 6
  • Louves non pleines, dont deux hydrophobes, 12
  • Loups, 15
  • Louveteaux, 25.

Le terme hydrophobe désigne un animal enragé. L'hydrophobie, synonyme de rage, se développe chez l'homme en fin d'évolution : la vue de liquide provoque une peur non raisonnée, alors que le contact entraîne des sensations de brûlures insoutenables. La mort, quasiment inévitable, survient de deux à dix jours après les premiers symptômes.

En 1826, l'actualité dans le Haut-Doubs fut marquée par les ravages causés par une louve atteinte de la rage. L'Annuaire du Doubs en fait la relation suivante :

"Le 4 juin 1826, une louve furieuse, évidemment atteinte d'hydrophobie, parut dans le canton de Mouthe. A onze heures du soir elle attaqua, entre Vaux et Chantegrue, un cultivateur nommé Cassard, père de famille, et lui fit de cruelles blessures ; ce malheureux se sauva au village et donna l'allarme : de suite, plusieurs personnes se réunirent pour se porter sur le lieu où Cassard avait été attaqué ; mais à peine arrivés à quelque distance du lieu, ils entendirent les cris d'une seconde victime de l'animal féroce, qui s'enfuit à leur approche ; ils coururent et trouvèrent sur le chemin un nommé Prince, dont la tête et les mains avaient été horriblement mutilées ; ils le rapportèrent au village, où il perdit connaissance en arrivant. La louve s'était jetée du côté de Bonnevaux ; elle y attaqua un nommé Dame, auquel elle fit de graves blessures ; mais plusieurs habitans étant accourus aux cris de cet infortuné, firent prendre la fuite à la louve, qui se jeta dans le bois.

Cependant le Maire de Bonnevaux prit la résolution, au milieu d'une population effrayée, de faire sonner le tocsin pour réunir les habitans et marcher ensemble à la recherche de l'animal terrible dont le passage était marqué par des désastres. Les cultivateurs s'armèrent à la hâte de fourches, de fusils, de bâtons, et se distribuèrent par troupes pour battre le pays. Ils marchèrent au point du jour ; mais ce ne fut que vers les sept heures du matin qu'ils aperçurent la louve qui venait d'exercer ses ravages sur d'autres points ; elle se dirigeait vers le bois de Bonnevaux, et ayant rencontré un berger âgé de 15 ans, elle le blessa au bras droit : ce fut sa dernière victime. Un jeune homme de Bonnevaux, nommé Eléonore Bolard, âgé seulement de 19 ans, qui se rendait au bois avec sa voiture, entendant les cris du jeune blessé, s'arme de sa hache et vole à son secours ; il ne tarde point à voir la louve furieuse accourant à lui la gueule sanglante : il l'attend de pied ferme, et, mesurant de l'oeil son redoutable ennemi et le terrain sur lequel il se trouve, il évite le premier choc de l'animal furieux par un mouvement de côté, et saisissant l'instant favorable, il lui assène un coup de revers, avec tant de bonheur et d'adresse, qu'il l'étend mort à ses pieds de ce seul coup. Les chasseurs et les traqueurs arrivèrent alors, mais ce ne fut que pour féliciter le brave Bolard sur son courage et son sang-froid. A son retour au village, tous les habitans, qui le considéraient comme leur sauveur, le comblèrent des témoignages de leur reconnaissance, et les jeunes gens se réunirent pour lui offrir une couronne de chêne. Toutefois, sa belle action devait avoir encore une autre récompense.

M. le Comte de Milon, Préfet du Doubs, informé des faits, envoya sur-le-champ une gratification de 100 fr. au brave qui venait de rendre un si grand service à son pays, et rendit compte de sa belle conduite à S. Exc. le Ministre de l'Intérieur, qui, touché du dévouement de ce jeune homme, lui a décerné une médaille d'argent, à l'effigie de S. M. CHARLES X, portant au revers, ces mots :

MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR
AU JEUNE BOLARD, de BONNEVAUX (Doubs),
pour avoir délivré son pays d'une louve enragée,
en juin 1826.

Cependant les blessés, qui avaient reçu les plus généreux secours de plusieurs habitans, de M. Jouffroy, médecin, et de M. l'abbé Verjus, curé de la paroisse de Vaux, dont le zèle charitable s'est signalé dans cette circonstance, donnaient peu d'espoir, à l'exception du jeune homme de 15 ans, le dernier des blessés ; il avait été cautérisé par M. Jouffroy, à tems opportun, et il guérit radicalement ; les trois autres moururent dans les convulsions de la rage.

S. M., dont la bonté est inépuisable, informée du malheur des trois familles qui venaient de perdre leurs chefs, a accordé, sur sa cassette, à chacune des veuves Cassard et Dame, chargées de famille, une pension de 150 fr., et a fait délivrer un secours de 700 fr. aux autres victimes de cet évènement. Enfin, S. Exc le Ministre de l'intérieur, informé par M. le Préfet du Doubs, du dévouement de M. l'abbé Verjus, qui, jusqu'aux derniers momens, n'a pas cessé de multiplier ses secours près des malheureux hydrophobes, lui a décerné une médaille à l'effigie du Roi, portant au revers, ces mots :

MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR
A L'ABBÉ VERJUS, CURÉ DE LA COMMUNE DE VAUX (Doubs),
pour son dévouement à secourir
plusieurs de ses paroissiens atteints de la rage,
en 1826.

Le 20 du même mois, une autre louve furieuse se montra dans le canton de Mouthe, près des communes de Chaux-Neuve et de Chatel-Blanc, où elle a dévoré deux enfans qui sont morts de leurs blessures. Après avoir exercé ses ravages sur des bêtes à cornes qui étaient au parcours, cet animal furieux s'est jeté dans le département du Jura, où il a été tué par deux cultivateurs qui ont lutté courageusement avec cette bête féroce. L'un d'eux a péri victime de son dévouement."


Éléonore Désiré Bolard, cultivateur, né à Bonnevaux le 9 décembre 1806, était le fils de Ferdinand Joseph Bolard et de Marie Françoise Gillard, cultivateurs à Bonnevaux. Il est mort à Frasne le 10 juillet 1883 dans la maison d'Auguste Lépeule, cultivateur. Le 17 juillet 1848 (à 7 heures du matin) à Frasne, il avait épousé Marie Antoine Eugénie Barthod, veuve d'Éléonore Ignace Sebile, mort le 10 mai 1847 à Frasne. Fille de Jean Baptiste Barthod et de Marie Françoise Théodore Ruty, elle était née le 11 janvier 1808 à Frasne où elle est décédée le 25 novembre 1900 à l'âge de 92 ans. Le couple Bolard-Barthod n'a pas eu de descendance. Quant à la médaille reçue par Éléonore Bolard en 1826, elle est restée dans la famille Barthod.

Signature des mariés Bolard et Barthod
Signatures du couple Bolard-Barthod sur leur acte de mariage en 1848


Après avoir été contaminés par le virus de la rage le 6 juin 1826, les trois malheureux habitants de Vaux-et-Chantegrue moururent quelques semaines plus tard : Antoine François Melchior Prince le 22 juin, François Joseph Dame le 28 juin et Charles François Cassard le 5 juillet (ce n'est qu'en 1885 que la vaccination antirabique fut expérimentée par Louis Pasteur).

Le registre des décès de la commune de Vaux-et-Chantegrue ne mentionne pas la cause de ces trois décès.

Domicilié à Chantegrue, Antoine François Melchior Prince, âgé de 40 ans, était marié et cultivateur. Il était le fils de Jean Baptiste Prince et de Marie Joseph Paillard.

Domicilé à Vaux, François Joseph Dame, âgé de 38 ans, était marié et "commis pour l'exploitation des bois de la côte du Laveron". Le registre ne précise pas sa filiation

 

Registre d'état civil de Vaux-et-Chantegrue

Domicilié à Chantegrue, Charles François Cassard, âgé de 45 ans, était marié et cultivateur. Il était le fils de Pierre Alexis Cassard et de Jeanne Marie Belle, cultivateurs à Chantegrue.



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